Tout bon fan de Claude François qui se respecte sait que l’inoubliable interprète de « Comme d’habitude » avait des origines italiennes par sa mère qui était Calabraise. Le tempo, comme la maman de Claude François, est d’origine italienne. Voilà donc le point de référence entre Claude François et l’une des particularités principales de la musique. Et en musique, Cloclo en connaissait plus d’une partition; la théorie et la pratique du solfège n’avaient plus aucun secret pour lui. Dans l’apprentissage qu’il eut de la musique et de sa transposition dans son métier, que ce soit en studio mais également à la scène, il accordait une importance primordiale au tempo. Si l’on veut faire un petit cours de solfège, il faut savoir, de prime abord, que le tempo est tout simplement la vitesse à laquelle la musique se joue. Ou plutôt, sur celle (la vitesse) que l’instrumentiste va se « caler ». Si l’on veut employer d’autres termes, on peut définir le tempo par la « pulsation » ou le « mouvement ». On pourra aussi parler de « Battements par minute » et, à la scène, ce critère prenait vraiment toute sa signification pour Claude François. Le rythme « Claude François » est né d’un type bien précis de structure mélodique. Si l’on prend en considération les chansons qui vont suivre, dans le contexte du présent article, et si on les écoute très attentivement, on en déduira qu’elles découlent toutes d’un « concept préfabriqué », d’un « moule » auquel Claude et son équipe apportaient quelques variantes, quelques modifications ou retouches qui, pour la plupart, se situaient aux niveaux du contenu et de la forme du refrain. Ce dernier apparaît alors plus rythmé, plus chaloupé, au contraire du couplet qui, lui, est généralement voué à annoncer un autre tempo pouvant être assimilé à une liberté, un bonheur et une générosité d’expression musicale :
Il fait beau, il fait bon
Viens à la maison y’a le printemps qui chante
Le lundi au soleil
Belinda
Je viens dîner ce soir
Il n’y a que l’amour qui rende heureux
Je t’embrasse
Chanson Populaire
Heureusement tu penses à moi
Quand la pluie finira de tomber
La musique américaine
C’est toujours le même refrain
Où s’en aller
Un petit peu d’amour
Joue quelque chose de simple
La vie d’un homme
Une chanson française
Sale bonhomme
Comme une chanson triste
Voilà donc quelques exemples de titres qui illustrent notre analyse. Deux instruments ou ensembles instrumentaux de prédilection ont contribué amplement au rythme qui lui était si caractéristique : la batterie et les toumbas. Comme il le racontait si bien dans une émission télévisée en 1966 (La, la, la), les rythmes qu’il développait à partir de ces instruments avaient été travaillés, presqu’avec de l’acharnement, lors de son apprentissage des percussions, de 1956 à 1959, dans un Conservatoire classique où il côtoyait les différents types d’instruments qui appartiennent à cette catégorie : du tambour au xylophone en passant par les timbales, tout en décortiquant, bien évidemment, les leçons de solfège qui accompagnaient leur étude. Cloclo expliquait qu’il utilisait des pads en caoutchouc qui, appliqués, par exemple, sur une caisse claire, permettaient d’apprendre la rythmique et les roulés sans déranger le voisinage ! Dans un extrait bien choisi de cette émission, Claude François démontre comment différents rythmes peuvent s’associer à partir d’un mouvement ternaire. Toute la rythmique, avec laquelle il tissera ses prochains succès populaires durant les années 70, est issue de ces influences et, aussi, de ces références musicales. L’aspect « rythme » est donc essentiel dans la confection des tubes de Claude François, un rythme binaire avec une partition parsemée de « croches » ou de « doubles croches » comme dans « Alexandrie, Alexandra ». Enfin, on ne clôturera pas ce petit chapitre théorique sans aborder celui de l’harmonie (ou, si vous préférez, des accords, des arrangements ou, dans un sens général, la mélodie). L’harmonie, dans sa définition la plus courante, étudie la construction des accords (les simultanéités sonores). Dans ce domaine également, Claude François était très exigeant : lors d’un « Système 2 » le 14 décembre 1975 où il était invité à improviser un medley, il n’hésitait pas à se substituer, un court instant, au chef d’orchestre afin que les musiciens s’accordent « harmonieusement » avant le début de son prochain extrait de chanson…
LE TRAVAIL EN CONCERT AU TRAVERS DE 3 EXEMPLES :
OLYMPIA ’69 - FOREST NATIONAL ’74 - PALAIS DES EXPOSITIONS CHARLEROI ‘78
Attardons-nous maintenant sur le rythme travaillé en concert et que Claude François imposait à des musiciens hors pairs, soigneusement triés sur le volet tels son organiste René Urtreger, issu du milieu du Jazz, son fabuleux batteur, un orfèvre en la matière, Dino Latorre, et, entre autres, son bassiste Camerounais Manfred Long, qui travailla avec le non moins célèbre Manu Dibango (un des plus grands musiciens africains, très grand ami de Claude, qui le rejoindra également lors de sa tournée qui le mènera du 27 décembre 1976 au 5 janvier 1977 au Cameroun, au Gabon et au Congo). Ceux-ci faisaient partie de son orchestre qui l’accompagna lors de ses prestations à l’Olympia du 19 au 30 novembre 1969. Outre la formidable section de cuivres (saxos baryton et ténor, deux trompettes) omniprésente dans l’intro qui précède la chanson d’ouverture, « Serre-moi, griffe-moi », elle-même suivie de « Cherche », ces trois morceaux sont très révélateurs de la technique (oui, car c’en est une, véritablement) utilisée par Claude François pour recréer sur scène ce qu’il avait travaillé en studio. Tout d’abord, c’est à René Urtreger que revient le difficile privilège d’ouvrir cette sublime intro que l’on croirait sortie tout droit d’une série américaine d’espionnage ! Ce déploiement de cuivres, ce rythme très soutenu, cet enchevêtrement de sons multicolores incroyables claquent dans vos tympans avec une force, une énergie incomparable ! La basse de Manfred Long est une des riches composantes instrumentales tout au long de ces 5’32" et que dire de la dextérité, de la maîtrise, de la justesse métronomique de Dino Latorre sur ses toms de batterie (ce dernier sera, par la suite, très demandé auprès de Michel Sardou, Sylvie Vartan, Julien Clerc, France Gall, etc…). Comme on le devine, les répétitions seront nombreuses et incessantes afin d’atteindre une telle qualité rythmique, une telle débauche aussi avec un tempo accéléré, voulu exclusivement par Claude, grandement influencé par les techniques utilisées par Elvis Presley et James Brown qui n’hésitaient pas non plus à augmenter la cadence musicale dans leurs prestations « live ».
L’essence même de cette fantastique rythmique se retrouve également dans la reprise du morceau « Frankenstein » de The Edgar Winter Group en guise d’introduction à son show à Forest National (enregistrement du 12 janvier 1974). C’est le batteur Benjamin Cohen qui ouvre le morceau auquel participe encore René Urtreger (ce sera même son dernier concert auprès de Claude) qui nous régale de sa virtuosité aux claviers, mais aussi avec l’apport incontestable de Slim Pezin, à la lead guitare, qui s’érige en chef orchestral. La perception est encore plus significative lors de l’interprétation d’ « Il fait beau, il faut bon » : écoutez l’alternance caisse claire/grosse caisse qui est conductrice du tempo avec lequel ce morceau est joué. Benjamin Cohen martèle littéralement sa caisse claire afin de bien mettre en valeur cette rythmique qui repose essentiellement sur les percussions. D’autres exemples similaires se dégagent du medley lorsque Claude enchaîne « J’attendrai » sur « Eloïse » (de 8’50" à 11’00"). Dans « Eloïse », il faut souligner le son produit par René Urtreger, magnifiquement « brodé » sur le jeu de Benjamin Cohen, tandis que dans « J’attendrai », c’est la basse de Michel Assa qui fait office de doublure rythmique. Petit détail qui a son importance dans la musique de fond employée dans le medley : quelques notes sont puisées du fameux « Papa Was A Rolling Stone », de la formation soul des Temptations, savamment arrangées par Slim Pezin et ses collègues, qui, avec un dosage instrumental subtil et succinct, permet de maintenir, tout au long de l’enchaînement des extraits de chansons, une tension rythmique palpable afin que l’audition du public soit continuellement en phase avec le tempo imprimé par l’orchestre et, indirectement, par le chanteur.
Terminons ce tour d’horizon par son dernier passage en Belgique, au Palais des Expositions de Charleroi, le 11 février 1978. Dans l’introduction qui est constituée de notes répétitives puisées dans la partition de la chanson d’ouverture « Laisse une chance à notre amour » (pourtant la moins créative et la moins séduisante de toutes), Slim Pezin exécute un travail remarquable d’improvisation pendant plus de trois longues minutes afin d’échapper au terrible stress qui préludait à l’apparition de Claude François sur la scène ! Un solo de batterie dantesque, parsemé de cuivres, précédait l’annonce présentatrice « Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, voici le show de Claude François ! », avec le plus grand effet vocal requis, afin de galvaniser l’hystérie collective ! À nouveau, le tempo à la vitesse V V prime était de mise et même les vieux murs du mythique Palais Carolo s’en souviennent encore. Ensuite, Claude avait coutume, depuis plus de 6 ans déjà, de poursuivre avec « Stop au nom de l’amour », issu d’un original « Tamla Motown », qui avait généralement le bon goût de mettre son public en condition et, de surcroît, de le conquérir. Les points forts du spectacle résideront dans son interprétation endiablée de « Je vais à Rio » (qui repose essentiellement sur les cuivres, la guitare de Slim, sans omettre les toumbas d’Émile Boza, alias « Bonbon », des éléments instrumentaux indissociables du folklore sud-américain, ces derniers intervenant même dans la chanson suivante, « 17 ans », afin d’apporter un peu plus de couleur « bossa-nova »). Enfin, le choix de « Cette année-là », le cover de « December 1963 (Oh What A Night) », qui précède le medley, était la « 3ème locomotive » de cette « première partie » pour préparer le public au « plat de résistance » qui consistait à reprendre quelques extraits de chansons dont un condensé de 5 tubes emblématiques et que l’artiste qualifiait lui-même de « système rythmique » très spécial, très personnalisé, car basés sur un tempo bien déterminé : « Il fait beau, il fait bon », « Y’a le printemps qui chante », « Le lundi au soleil », « Je viens dîner ce soir » et « Chanson populaire »…
Pour conclure simplement et pour le définir de façon claire, nette et limpide, le Rythme Claude François n’est pas une invention puérile, ni désuète, il est bien réel puisque le chanteur l’a créé, modelé, modulé selon ses instincts artistiques, sa culture musicale. Ce « système » perdure maintenant depuis près d’un demi-siècle et il hante encore aujourd’hui les pistes des discothèques, sous les « sunlights »… en attendant, avec impatience, l’album de reprises de M. Pokora !