Avec la récente disparition de Maurice Jarre, le 29 mars 2009 à l'âge de 84 ans, le cinéma a perdu l'un de ses plus grands
compositeurs de musiques de films. En février, il était encore apparu au Festival de Berlin qui lui avait décerné un Ours d'Or pour l'ensemble de sa carrière. Très affaibli par
la maladie, il avait encore trouvé la force de sourire en brandissant son trophée devant le parterre de photographes... Maurice Jarre était le compositeur de films le plus
« oscarisé » puisqu'il reçut trois statuettes pour « Lawrence d'Arabie » de David Lean (1962), « Docteur
Jivago » encore de David Lean (1965) et « La Route des Indes » toujours de David Lean (1984). Il est l'auteur de plus de
150 musiques de films; parmi celles-ci, citons « Le Président » d'Henri Verneuil (1961), « Paris brûle-t-il ? » de
René Clément (1966), « Jésus de Nazareth » de Franco Zeffirelli (1976), « Witness » de Peter
Weir (1985), « Gorilles dans la brume » de Michael Apted (1988), « Le Cercle des Poètes Disparus » de Peter
Weir (1989), « Ghost » de Jerry Zucker (1990) et « Les Vendanges de Feu » d'Alfonso
Aarau (1995).
Reconnaissant envers les réalisateurs qui
l'ont sollicité, Maurice Jarre avait déclaré : « J'ai eu la chance de travailler avec les plus grands dont David Lean qui m'a donné le goût de la
perfection ». Il expliquait aussi : « Pour Lawrence d'Arabie, j'avais six semaines pour composer deux heures de musique. Du coup, j'ai travaillé par
tranches de cinq heures espacées de vingt minutes de sommeil. J'ai mis un an pour m'en remettre ! ». La preuve, par ce témoignage, que c'était un artiste méticuleux et
professionnel jusqu'au bout de sa baguette... En fait, comment concevait-il une bonne musique de film ? Il la définissait comme suit : « Les trois premières notes d'une
mélodie, puis le rythme et l'harmonie. Après, tout est question d'équilibre, de liant comme en cuisine, de fluidité comme chez Mozart. Je ne crois pas à l'improvisation. On ne se
lève pas comme ça le matin avec toute une partition dans la tête. Stravinski disait : « Un musicien est comme un bureaucrate qui doit se lever tôt le matin pour
travailler ». L'inspiration vient ensuite ». Il y a quelques années, il confiait encore : « Dans un film, le compositeur est le dernier maillon d'une lourde chaîne.
Souvent, il se retrouve face au producteur quand ce dernier enrage de sortir son film. Alors tout va très vite ». Comme on peut le deviner à travers ces confidences,
Maurice Jarre était très soucieux de la qualité de son travail afin qu'il soit le meilleur possible. En tout cas, il nous laisse des œuvres grandioses dont vous découvrirez
quelques vidéos à la fin de cet hommage. Né le 13 septembre 1924 à Lyon, Maurice Jarre est attiré très tôt pour la musique : encore enfant, il est littéralement séduit par
la Rhapsodie Hongroise n° 2 de Franz Liszt dirigée par le chef d'orchestre britannique d'origine polonaise, Léopold Stokowski (qui a, notamment, composé
les arrangements pour le dessin animé musical « Fantasia » (1940) de Walt Disney). Durant l'Occupation, il apprend la musique par correspondance et
devient percussionniste-timbalier. En 1946, il s'associe à Pierre Boulez (autre grand compositeur classique et chef d'orchestre français, toujours bon pied, bon œil et en
activité à 84 ans... son agenda est rempli jusqu'au 13 août 2009 !) pour la compagnie du Théâtre Madeleine Renaud-Jean-Louis Barrault. En 1951, l'acteur et metteur en scène
Jean Vilar lui demande de s'occuper de la partition musicale de la pièce « Le Prince de Hombourg » d'Heinrich von
Kleist à l'affiche du Festival d'Avignon avec Gérard Philipe et Jeanne Moreau. C'est le début d'une longue collaboration de 12 ans où il se
verra nommé Chef musical du Théâtre national populaire. Maurice Jarre a un profond respect pour Jean Vilar dont il dira qu'il a passé « les
plus belles années de sa vie, des années d'inspiration, d'amitié, de bonheur avec un homme qui faisait un théâtre populaire et non pas populiste ». Désormais, les engagements
s'enchaînent à grande vitesse pour Maurice Jarre : en 1952, il signe sa première musique de film pour le court-métrage « Hôtel des Invalides » de
Georges Franju, pamphlet antimilitariste tourné dans le sanctuaire des souvenirs guerriers, le musée des Invalides, avec pour récitant Michel Simon. En 1956, il
écrit les musiques pour le ballet « Notre-Dame de Paris » ainsi que la partition de « La Mémoire du Monde » d'Alain
Resnais et, l'année suivante, c'est Jacques Demy qui le contacte pour « Le Bel Indifférent », ces deux dernières réalisations
s'inscrivant dans la même catégorie que celle de Georges Franju. Mais Maurice désire beaucoup plus et c'est logiquement qu'il lorgne désormais vers les
longs-métrages. C'est à nouveau Georges Franju qui, par l'intermédiaire de son film « La Tête Contre Les Murs » (1958), lui permet de franchir ce cap.
Les deux compères décident de faire un bout de chemin ensemble et cette association se retrouve dans « Les Yeux Sans Visage » (1959), « Pleins Feux Sur
l'Assassin » (1961), « Thérèse Desqueyroux » (1962) et « Judex » (1964). C'est le début de la célébrité pour Maurice
Jarre en qui les critiques reconnaissent son fantastique talent de création ainsi que la souplesse et l'universalité de ses musiques. Justement, la particularité de sa musique se résume
à sa simplicité, à son efficacité sur le développement du thème du film, afin que le spectateur puisse ressentir l'émotion voulue au moment où la musique l'accompagne. Cette conception judicieuse
de l'art de composer le conduit à une renommée mondiale en 1962 avec « Lawrence d'Arabie » de David Lean et « Le Jour Le Plus
Long » de David Zanuck. Les plus grands réalisateurs frappent désormais à sa porte : Richard Brooks pour « Les
Professionnels » (1966), Luchino Visconti pour « Les Damnés » (1969), Alfred Hitchkock pour
« L'Etau » (1969), Elia Kazan pour « Le Dernier Nabab » (1976), Volker Schlöndorff pour « Le
Tambour » (1979). Au début des années 90, il se fait plus discret mais il compose toujours et en 1996, il s'occupe de la musique du premier film de Bernard-Henri
Lévy, « Le Jour Et La Nuit ». Bien que cantonné dans la musique de films, Maurice Jarre a également composé des œuvres symphoniques :
« Armide » un opéra-ballet (1953) et « Passacaille à la mémoire d'Honegger » (1957), la Passacaille étant un genre musical pratiqué
aux XVIIème et XVIIIème siècles. Il signe aussi la musique de la série TV « Shogun » (1980) réalisée par Jerry London d'après le roman de James
Clavell avec Richard Chamberlain dans le rôle principal.
Côté vie privée, Maurice Jarre épouse en 1965... la future Madame
Drucker, Dany Saval avec qui il a une fille, Stéfanie qui deviendra décoratrice (photo ci-dessus). Il aura également un fils adoptif,
Kevin, avec l'actrice Laura Devon, qui sera scénariste et, enfin, le plus connu d'entre tous, Jean-Michel, le créateur
d' « Oxygène » (ci-dessous).
Maurice Jarre adorait les Etats-Unis où il s'installa dans les années 60 pour ensuite habiter la Suisse et revenir enfin à Los Angeles couler paisiblement ses
derniers jours. Il laisse derrière lui un palmarès éloquent : 3 Oscars, 4 Golden Globe, 5 Nominations aux Oscars et 7 Nominations aux Golden Globe ainsi
que de multiples autres récompenses : un 7 d'Or en 1985 pour « Au Nom de Tous les Miens » de Robert Enrico, un César d'Honneur
en 1986, le British Academy Award en 1989 pour « Le Cercle des Poètes Disparus », l'American Society of Composers, Authors and Publishers pour
« Ghost » en 1991, le Prix SACD en 1997, l'Hommage du Festival du Cinéma Américain de Deauville en 1999 et, enfin, l'Ours d'Or à
Berlin pour sa carrière exceptionnelle, un mois avant de tirer sa révérence...
À écouter, cette double compilation reprenant les plus
célèbres musiques de films composées par Maurice Jarre
et ce DVD « Maurice Jarre : A Tribute To David
Lean » paru en février 2006 où vous pourrez le voir, en 1992, en concert à Barbican Centre à Londres, diriger le Royal Philarmonic Orchestra sur les musiques pour
lesquelles il a été récompensé de 3 Oscars.